Souvenirs d’un combattant de la guerre de 14-18

Adrien Chollat, habitant du village, nous propose des petites histoires sur Saint Geoire à partir de ses recherches dans les archives municipales.

Ses chroniques ont été publiées dans les lettres municipales entre 2012 et 2015.

Extrait des mémoires de guerre de Auguste Cleyet-Merle, ancien président de la section des anciens combattants 14-18, ancien président de la société de Secours Mutuel, ancien premier adjoint au maire de St Geoire en Valdaine dans les années 1950.

Bataille de la somme

Né en 1896, il est incorporé le 8 avril 1915, il n’a pas 19 ans. Après plusieurs mois d’entrainement (l’état-major reconnait que ce sont des recrues trop jeunes), il est envoyé en Picardie. Un cas de méningite cérébro-spinale dans sa compagnie entraîne pour lui un séjour de 2 mois à l’hôpital.

En mai 1916, son régiment rejoint le 38ème colonial, gagne le front et participe à la bataille de la Somme.

Cette bataille qui dura de juillet à novembre 1916 entre les Anglais alliés aux Français, contre l’Allemagne, fit plus d’un million de victimes de part et d’autre. Les alliés gagnèrent douze kilomètres de ligne de tranchée…

Laissons-lui la parole :

« C’est dans cet enfer de la Somme que j’ai mes 20 ans, les attaques et contre-attaques se succèdent sans cesse ».

« Nous restons souvent le ventre creux parce que les hommes de soupe ne reviennent des roulantes qu’une fois sur trois avec les rations, ils sont tués pendant le trajet ».

« Les premières lignes sont constamment bombardées, elles sont précédées d’un réseau de fils de fer barbelés que nous plaçons la nuit ».

« Tout est bouleversé. Les tranchées ne sont plus que des fossés pleins d’eau et de boue dans ce sol argileux de la Somme ».

« Dès qu’on change de place il faut vite creuser des tranchées. On ne sait jamais si on ne creuse pas sa tombe, ce qui arrive souvent ».

« Combien de bons camarades avons-nous laissés morts derrière nous en quittant ce secteur fin aout 1916 ?».

Fin aout la relève arrive et son régiment va sur le camp de Crèvecœur le Grand, dans l’Oise, pour se reformer, combler les lourdes pertes et se rééquiper. Il ne retournera pas au front dans la Somme.

En septembre 1916 ces poilus sont dirigés vers Montluel, dans l’Ain, pour se préparer au départ pour la Grèce.

Le 18 décembre Il embarque à Marseille et débarque le 25 à Salonique.

Expédition de Salonique

Le 25 décembre 1916, Auguste Cleyet-Merle débarque avec son régiment dans le port de Salonique (Grèce).

« Nous débarquons et immédiatement nous partons pour le camp de Zeitenlik* …Les Grecs viennent nous vendre du bon vin de Samos mais nous n’avons plus d’argent, nous l’avons dépensé à Marseille ; nous voulions en avoir profité au cas où nous aurions été torpillés ».

Auguste et ses camarades rejoignent le front dans les montagnes au-dessus de Monastir en Serbie (dans l’actuelle République de Macédoine).

« Au sortir de la ville nous passons entre deux murs et d’un seul coup, deux obus de 105, bien pointés anéantissent la 4ème section qui nous précède : 31 morts ou blessés gisent au sol. Il faut les franchir et malgré les cris terribles des blessés nous continuons notre marche ».

Après un arrêt de deux mois pour maladie, il rejoint son régiment qui se trouve alors près du petit village de Makova. Il participe à la bataille de la boucle de la Cerna. Il reste six mois dans ce secteur. Après l’échec d’une attaque sur des pitons rocheux tenus par les bulgares, il y aura encore quelques coups de mains de part et d’autre.

Mais, « dans l’ensemble le secteur reste calme tout l’été. Les pertes les plus lourdes sont occasionnées par le paludisme et surtout les dysenteries ».

« Nos plus grosses souffrances en lignes sont dues aux poux, aux puces, aux rats noirs qui parfois nous mordent les oreilles pendant notre sommeil et nous obligent à nous couvrir la tête malgré la grosse chaleur ».

« Nos abris sont faits avec une tôle ondulée sur laquelle le soleil tape toute la journée. Quelle fournaise ! Nous buvons quatre litres d’eau le soir tant nous sommes déshydratés. Cette eau est celle du ruisseau qui vient de chez les Bulgares. Elle contient de l’urine, des déchets de toute sorte et nous l’avalons à grands renforts d’eau de javel ».

Il quitte cette région en avril 1918. Il reviendra en France. En juin 1918 il a enfin une permission et il peut retrouver sa famille. Mais pour lui la guerre n’est pas encore finie…

Campagne en Russie du nord

En 1917, le tsar de Russie qui soutenait les alliés a été renversé et remplacé par un gouvernement bolchévique lors de la révolution d’octobre. En 1918, les alliés décident d’intervenir en Russie pour deux raisons principales :

1-Eviter que le matériel de guerre des alliés, stocké à Arkhangelsk*, ne tombent dans des mains allemandes ou bolcheviques,

2-Ressusciter le front de l’Est en combattant l’armée bolchevique, avec l’aide de la Légion tchécoslovaque et d’une force anticommuniste locale, alors en expansion.

Le 8 septembre, Auguste quitte le fort Saint Irénée (Lyon) pour Paris, puis Cherbourg, Le Havre, Southampton, Manchester, York et enfin Dundee en Ecosse. De là, il embarque pour une destination qu’il ne connaît toujours pas.

« J’envoie à ma famille une dernière carte du Havre. A partir de ce moment le silence le plus absolu. Nos parents n’entendent plus parler de nous. Aucun courrier ne part ni n’arrive. Nous apprendrons, cependant, la fin de la guerre en France ».

Il débarque le 1er octobre 1918 à Arkhangelsk*. Il rejoint le front, en pleine forêt, à 155 verstes (165 km) au sud d’Arkhangelsk. « Des barbelés tendus d’un sapin à l’autre, et surtout la neige servent de ligne de défense. Quand nous prenons la garde et que les loups hurlent tout près, la surveillance se relâche un peu ; s’il y a des loups il n’y a pas de Russes ».

« Pendant l’hiver, les Russes essaient une seule fois de nous encercler, mais en vain…Quand on s’enfonce dans un mètre de poudreuse, on ne s’en sort plus, même si l’on est Russe, habitué au climat et à la neige. Nous connaissons un hiver Sibérien ; la température varie de -30°C à -45°C avec une pointe à -50°C ».

Chaque nuit, les deux soldats qui prennent la garde se relaient toutes les demi-heures. Il est impossible de rester plus longtemps. La nuit dure vingt et une heures pendant lesquelles ils ne dorment pas, ou si peu. Ils ne mangent un repas chaud qu’à midi. Ils en emportent un autre qui ne sera pas froid, mais glacé. »

« Nous rêvons à la plage d’Itéa (en Grèce) où nous étions au mois de juin passé : la différence de température atteint presque 100 degrés ».

La relève s’effectue le 3 mars 1919. Il séjourne quelque temps à Ziozi, village perché sur une rive de la Dvina. Enfin le 30 mai commence le retour en France. Il arrivera le 24 juin à Dunkerque.

« La famille est heureusement surprise de mon retour en cette fin juin 1919. La guerre est terminée depuis huit mois, je ne suis pas porté disparu mais mes parents, frères et sœurs se demandaient si je reviendrais un jour ».

*Zejtinlik est un cimetière de Salonique. Il contient les dépouilles de soldats serbes, français, anglais, italiens, russes, des soldats tombés durant l’expédition de Salonique lors de la Première Guerre mondiale*Arkhangelsk est située à l’embouchure du fleuve Dvina, à environ 25 km de la mer Blanche, 735 km au nord-est de Saint-Pétersbourg et 990 km au nord de Moscou.